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Champ planet'terre, passe et impasse Trouver de nouveaux gisements laitiers dans le Maghreb

Les crises laitières ne sont pas contagieuses et pourtant en Tunisie, Leïth Ben Becher et ses collègues éleveurs se plaignent du même mal : l’augmentation des coûts de production n’est pas répercutée sur le prix du lait. Aussi, selon Leïth, la seule alternative est d’accroître l’autonomie fourragère des élevages : les producteurs seront alors moins dépendants des importations de céréales au prix fort. L'Algérie s'est déjà engagée dans cette voie, comme l'explique Jean-Paul Simier de Bretagne développement innovation. Un article extrait de Terre-net Magazine n°20.

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Avec un prix du lait plus faible que leurs coûts de productions, les éleveurs doivent repenser leur système
pour redevenir compétitifs. (© Terre-net Média)

En Tunisie

Leïth Ben Becher, agriculteur à Ben Bechir et président du Synagri (1)

A 0,29 €/l de lait, les éleveurs ne s'en sortent pas

« Pourquoi produire encore du lait ? Cette question, je me la pose depuis deux-trois ans et je ne suis pas le seul ! Comme la plupart des éleveurs tunisiens, qu’ils aient 5 ou 100 vaches, je livre mon lait à perte. En Tunisie, la filière laitière est en crise. Et chaque jour qui passe, les producteurs s’y enfoncent un peu plus, sans réelle perspective d’en sortir.

La crise est conjoncturelle, mais aussi structurelle. Avec un prix du lait plus faible que leurs coûts de production, les éleveurs doivent repenser leur système pour redevenir compétitifs. Et pour cela, il faut qu’ils puissent compter sur le soutien des pouvoirs publics.

En fait, la Tunisie n’a plus les moyens de nourrir ses troupeaux, comme dans les années 70 à 90, avec des céréales et des protéagineux importés (soja et maïs essentiellement). Or, ceux-ci représentent aujourd’hui 60 % de la ration alimentaire des animaux.

Importation massive

La filière laitière tunisienne s’est en effet construite autour de l’importation massive de matières premières agricoles (alors bon marché, Ndlr) pour l’alimentation des vaches et de génisses pour le renouvellement des troupeaux. Une stratégie que le pays a adoptée pour sécuriser sa production de lait et de viande.

Rendre la filière durable

« Si la production laitière tunisienne couvre la demande intérieure, grâce à une véritable filière, cela a un coût. Aujourd’hui, une question essentielle se pose : celle la durabilité des élevages laitiers en Tunisie et, par conséquent, celle de la pérennité de la filière elle-même. Si l'on veut continuer à produire du lait et à faire vivre ceux qui en font leur métier, il faut sans doute encourager l'introduction de races plus rustiques, dotées d’une meilleure longévité et capables de valoriser des fourrages de qualité moyenne. Comme le font depuis plusieurs années, avec la race tarentaise, des éleveurs passionnés au sein du groupe de développement Gert ».

Et il y est parvenu en moins de 20 ans, avec une politique volontariste et en s’appuyant à partir des années 70 sur un réseau de centres d'insémination artificielle, d’organismes de contrôle laitier et plus récemment de collecteurs de lait ; ces derniers ayant permis de faire le lien entre une multitude d’éleveurs atomisés et les quelques grosses centrales laitières tunisiennes.

Les faiblesses de la filière exacerbées

Aujourd’hui, cette période est révolue. Au cours des six derniers mois, les cours du blé et du soja ont augmenté de plus de 60 % ; ce qui porte, selon une étude du Synagri d’avril 2012, à 30 voire 35 centimes d’euros le coût de production d’un litre de lait alors que le prix de vente de ce même litre de lait est resté de 29 centimes !

En fait, la hausse des prix des matières premières agricoles a exacerbé les faiblesses de la filière laitière de notre pays : la production moyenne par vache y est moindre (environ 15 l/j) en raison du niveau technique insuffisant de la plupart des élevages (près de 80 % sont situés dans des zones rurales isolées et ne possèdent que quelques vaches) et de la baisse de l’encadrement technique de l’Etat.

Ainsi, avoir misé sur la Holstein dans les années 70 n'a pas été, semble-t-il, le meilleur choix. D’autant que cette race n’est pas adaptée à nos conditions d’élevage.

Se mettre à niveau

Pour sortir de la crise laitière, le Synagri a soumis au gouvernement un ensemble de propositions visant, non seulement, à revoir à la hausse le prix d’intervention pour le lait (qui n'a pas bougé depuis 2010, Ndlr) ; mais aussi à mettre en place un dispositif d'indexation du prix du lait frais par rapport à l'évolution des coûts de production et notamment par rapport aux variations de prix des aliments concentrés.

En outre, pour produire du lait en Tunisie, il faut sortir du diptyque maïs/soja. Un moyen également de lancer un programme ambitieux de mise à niveau technique et sanitaire (mise aux normes des étables, généralisation des suivis sanitaires et du système de contrôle laitier), mais aussi de favoriser la production fourragère et de rendre les exploitations plus autonomes. Le tout en améliorant la qualité du lait produit.


La Tunisie n’a plus les moyens de nourrir ses troupeaux,
comme dans les années 70 à 90, avec des céréales
et des protéagineux importés. (© LBB)

Les petits producteurs, élevant moins de dix vaches, seraient aussi regroupés en coopératives et/ou adhéreraient à un groupement de développement. Ces organisations assureraient le transport et la conservation du lait. Elles apporteraient le conseil et l'appui technique qu'un éleveur seul ne peut pas s’offrir. Certains producteurs affiliés au Synagri se sont engagés dans des démarches innovantes (lire le 1er encadré). Ces initiatives doivent être soutenues et généralisées dans le cadre d'une véritable politique agricole. Enfin, en lait comme dans les autres productions, structurer l’ensemble de la filière autour d’une véritable interprofession est une priorité. »

« La performance n’est plus rentable »

« Il y a toujours eu des vaches sur notre ferme. Au début des années 70, au lendemain de l’expérience collectiviste, mon père a relancé la production de lait en achetant une dizaine de vaches frisonnes pie noire. Il a en outre introduit l’ensilage d’herbe, jusque-là inconnu des éleveurs tunisiens. Comme tous les autres agriculteurs, mon père a bénéficié de soutiens de l’Etat, aussi bien techniques que financiers. Cependant, les systèmes d’exploitation reposaient sur des aliments concentrés importés largement subventionnés. Aujourd’hui, mes 20 vaches, holsteins à 85 %, produisent plus de 7.000 l. Néanmoins, avec la crise laitière, la performance n’est plus rentable, ce malgré une bonne disponibilité fourragère. »

En Algérie

Jean-Paul Simier, directeur "filières industries alimentaires" à Bretagne développement Innovation (2)

Le pays opte pour le lait fourrager

« La rente pétrolière finance la politique de sécurité alimentaire de l’Algérie. Au début de l’année, la région Bretagne et son agence Bci (Bretagne commerce international), le ministère de la Coopération et le gouvernement algérien ont signé la convention Alban (lait en arabe, Ndlr) pour donner, au pays, les moyens de relancer la production de lait dans trois wilayas de l’ouest : Relizane, Blida et Souk Ahras près d’Oran (l’Algérie est divisée en 48 collectivités publiques territoriales appelées wilayas, Ndlr). Le programme s’adresse à 23.000 éleveurs sur les 200.000 que compte l’Algérie et regroupe 850.000 vaches laitières (produisant chacune en moyenne 2.000 kg de lait par an).

La convention Alban vise à constituer une filière laitière régionale, qui repose sur un réseau d’exploitations agricoles de dimension familiale, en valorisant la capacité fourragère des trois wilayas. En effet, des milliers d’hectares sont encore inexploités dans la plaine de La Mina.

La France a été choisie comme partenaire du fait de sa proximité géographique et des liens historiques qu’elle entretient avec le pays, mais aussi en raison du modèle de développement agricole qu’elle a adopté. Transfert de savoir-faire En Bretagne, tous les acteurs de la filière laitière se mobilisent pour former les paysans algériens des Gapels (groupements d’éleveurs, Ndlr), construire des laiteries et organiser un réseau de collecte. L’idée est de renforcer l’autonomie alimentaire algérienne et de créer des relations commerciales privilégiées entre la France et l’Algérie, afin de renforcer la sécurité alimentaire du pays malgré sa forte croissance démographique.

En s’implantant sur le territoire algérien, les groupes laitiers français contribuent aussi à l’industrialisation du pays tout en s’assurant de nouveaux débouchés pour exporter les produits que l’Algérie n’a pas les moyens de produire localement. Autrement dit, le partenariat repose sur un transfert de technologies et de savoir-faire avec, par exemple, l’exportation de génétique et de génisses françaises. Mais surtout, cette nouvelle collaboration en appellera d’autres. Ainsi, une importante délégation algérienne s’est rendue au Space de Rennes pour nouer des contacts avec les industriels présents et pour développer des partenariats en production avicole notamment. »

Cet article est extrait de Terre-net Magazine n°20

 

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